25 avril 2021

Le petit parisien

Dans le lot des photographies que j'ai retrouvé au décès de maman, j'en ai trouvé une qui me pose quelques soucis. Elle représente un groupe de 7 jeunes adultes d'une vingtaine d'années. Il y a mes parents (pas encore mariés), un de mes oncles avec une de ses cousines, une couple que je ne connais pas et une de mes tantes seule.

Devant, se trouvent trois enfants, deux de mes cousines, les plus vieilles de la famille, âgées alors une de 8 ans, l'autre de 5 ans, entourent un petit garçon inconnu.


Au dos de cette photographie, maman a écrit : "Juin 1944. Quelle belle journée nous avons passée… Le petit garçon entre V. et J. était un petit parisien que nous avions à la maison en tant que famille d'accueil pendant la guerre."

Qui est ce garçon, comment s'appelle-t-il ? Qu'est-il devenu ? Il doit avoir actuellement, s'il vit encore, 86 ou 87 ans. Je ne me souviens pas en avoir entendu parlé, ou bien alors, à cette période, cela ne m'a pas intéressé du tout. Je ne sais pas à quel moment il est arrivé chez mes grands-parents, à quel moment il en est parti ?

Si quelqu'un peut me dire qui il est, qu'elle a été sa vie, cela me permettrait d'en connaître un peu plus sur les conditions de vie de ma famille maternelle à la fin de la guerre.


07 avril 2021

Jumeaux à venir ?

J'ai toujours entendu dire que les naissances de jumeaux sautent une génération. Adage non encore vérifié.

Génération n-2

Mon grand-père paternel (SOSA 4) est né à 10 h le 7 juin 1882, il a été précédé à 3 h du matin d'un frère jumeau. Je n'ai pas retrouvé d'autres jumeaux dans les ascendants. Tous les deux se sont mariés, ont eu 2 garçons pour mon grand-père et 1 fille pour son frère. Ils sont décédés respectivement en 1950 et 1948.

Naissances de BOISSEAU Paulin et Jean-Baptiste

Ma grand-mère maternelle (SOSA 7) est née le 26/09/1885 à 6 h du matin, suivant sa jumelle d'une heure.  Elle est donc la dernière de 11 enfants. C'était un enfant chétif, mais elle a eu 5 enfants et est décédée à la veille de ses 101 ans. Sa jumelle, considérée comme en bonne santé n'a vécue que 6 mois.


Naissances de BRELLE Philomène et Augustine

Mon grand-père maternel a dans son ascendance un ancêtre (mon SOSA 48) qui a eu deux filles jumelles, nées en 1798, mais dont je ne connais pas la destinée.

Génération n-1

Du côté de mon épouse, c'est beaucoup plus proche puisque sa mère est jumelle. Marie et Anne sont nées le 1er Novembre 1928, la première à 0 h 10 et la seconde à 2 h.

Génération n

Mes parents, mon oncle et la tante de mon épouse n'ont pas eu de naissances multiples.

Génération n+1

Nous avons 5 enfants, nous n'avons pas eu de jumeaux, mes sœurs non plus.

Génération n+2

Nos enfants sont tous parents et comme il n'y a pas de naissances envisagées, cette génération n+1 sera sans jumeaux.

Génération n+3

L'aîné de nos petits-enfants est père d'un garçon, notre premier arrière-petit-fils, la naissance qu'ils attendent pour l'automne, sera peut-être, une naissance gémellaire pas forcément souhaitée.

Dans notre descendance, il y a encore 12 petits-enfants qui peuvent avoir des enfants, il y a donc de l'espoir !

10 mars 2021

Le curé baroudeur

Ce titre n'est pas de moi. Je l'ai trouvé sur un article de la Semaine Religieuse du Diocèse d'Angers du 11 juin 1978, repris par un article du journal le Courrier de l'Ouest du 3 août 1978, suite à la remise de la Médaille militaire à celui qui pour moi a toujours été "tonton l'abbé".

Les origines

Je vais vous parler de mon oncle maternel Francis, prêtre quelquefois surprenant, en tout cas qui sort de l'ordinaire et du schéma classique qu'on se fait d'un prêtre.
Il naît Francis René Paul Marie BOIDRON, à La Renaudière (Maine-et-Loire), le 5 septembre 1914 à 18 heures. Ses parents habitent le May-sur-Èvre, mais son père étant mobilisé, sa mère est partie accoucher chez ses parents. Comme il dit lui-même "Je suis né le jour où les premières bombes tombent sur la Marne, le jour de la mort de Péguy aussi." J'ai déjà évoqué sa famille dans l'article sur ma grand-mère Titine. Son père est cordonnier établi à son compte, rue Louis Fizeau. Sa mère reste au foyer, il est le second garçon d'une fratrie de 5 enfants, ils seront suivis de 3 filles.
Le jeune Francis


Je n'ai pas d'informations concernant sa jeunesse sauf que dès 6 ans il veut devenir prêtre. Après le petit séminaire à Beaupréau, il entre au Grand Séminaire d'Angers. Il est tonsuré le 23 décembre 1933. Puis c'est le service militaire en 1934 sous le matricule 2270. À son retour, il devient sous-diacre, puis diacre.
Francis, diacre 1938

Le vicaire et le camp de concentration des nomades de Montreuil-Bellay

Il est ordonné prêtre en la cathédrale d'Angers le 29 juin 1939. Il viendra dire sa première messe à l'église du May-sur-Èvre le 2 juillet 1939. C'est l'occasion pour la famille de fêter cet évènement.
Famille rassemblée devant la cordonnerie des parents pour la première messe de Francis

Il est alors nommé vicaire à La Pommeraye. Il y restera jusqu'en 1942. Le 23 avril il est nommé vicaire à Montreuil-Bellay avec comme mission d'être aumônier du camp de concentration des nomades, d'abord comme aide puis à part entière à compter du mois de décembre. Je ne saurai trop vous recommander sur ce sujet la lecture du livre de Jacques SIGOT "Un camp pour les tsiganes… et les autres. Montreuil-Bellay 1940-1945" - Éditions Wallada - 1983. Francis y est évoqué et déjà il a quelques soucis avec les autorités qu'elles soient civiles ou religieuses. Au milieu des 1500 prisonniers, mourants de faim, dévorés par les poux, il va être confronté à la tristesse, à l'odeur insupportable de la misère, aux agonisants qu'il faut assister les uns après les autres, se confiera-t-il plus tard.   
La Pommeraye 1941

Les colonies

En 1945 changement d'orientation désiré, après un rappel comme spécialiste de l'intendance à Tours, il va entamer des démarches difficiles auprès de sa hiérarchie, qui ne lui répond même pas, il se fait pistonner et au mois d'août devient aumônier militaire en Algérie. Il y reste 6 mois. En 1946 c'est le départ pour l'Indochine comme Aumônier Capitaine de la Légion Étrangère. Ces deux missions l'ont profondément marqué et il revenait souvent sur ses amis qu'il s'était faits là-bas. Il se sent indispensable pour accompagner les mourants. Il n'a jamais eu le sentiment de cautionner ceux qui tuent. Il lui faut assister les autres, être avec eux et les aider.


Aumônier Capitaine de la Légion Étrangère (1946)

Aumônier Capitaine de la Légion Étrangère (1947)

Le curé de campagne, mais pas que…

Après deux ans passés en Indochine, il est nommé vicaire à Ingrandes-sur-Loire le 19 septembre 1948, puis un an après, le 28 août 1949 curé de Saint-Just-sur-Dive. Ses parents viendront habiter avec lui la grande cure et sa mère fera office de bonne du curé. J'y suis allé assez souvent et j'aimais bien parcourir le village avec lui, aller de maison en maison, quelles que soient les croyances des habitants. Il était accueilli partout à bras ouverts, et s'il y avait quelques désaccords tout se réglait très vite autour d'un verre de blanc.
Ce fut aussi l'occasion pour moi de sonner l'angélus avec cette impression exaltante de monter très haut entraîné par la corde. Moins passionnante était la récolte des pommes de terre, mon oncle avait l'habitude d'en planter tout un champ derrière l'église. Lui en short et chemise avec le croc, moi derrière à les ramasser pour les mettre en caisse. Les après-midis du mois d'août sous la chaleur, pas trop mon truc.
Francis vers 1955


En 1952, en plus de sa charge d'administrateur de la paroisse de Saint-Just il devient aumônier diocésain des nomades. Si on lui propose cette charge, c'est sans doute parce qu'il avait l'expérience de cette population suite à la période de la guerre comme aumônier du camp de concentration. À cette époque il avait acheté une 4 CV Renault. J'ai ainsi pu parcourir avec lui toute la campagne saumuroise, faire la queue derrière les convois américains qui squattait le camp de Méron tout à côté. J'ai aussi maintes occasions de visiter des camps de nomades où nous étions toujours très bien accueillis (sauf par les chiens quelquefois) et dans ces camps, regroupant des personnes pas très bien vues des populations locales, je me suis toujours senti en sécurité.
Francis entouré de ses parents - Saint-Juste-sur-Dive

Après 8 ans passés à Saint-Just-sur-Dive, il va intégrer la cure de Soulanger, tout à côté de Doué-la-Fontaine, avec toujours la charge des nomades. Ce dont je me souviens, c'est une grande cour avec garage, cave qui descendait dans le tuffeau et derrière le presbytère un grand jardin, avec de petits bassins bordés de bouquets de thym qui sentaient bon quand on passait à côté en les frôlant. Puis deux tortues que l'on pouvait voir facilement aux beaux jours. Et il y eut le téléphone, un téléphone mural avec un petit levier qu'il fallait actionner pour appeler l'opératrice et avoir la communication. Ce fut un changement et un intérêt appréciable pour M. le Curé. C'est à la suite d'un coup de téléphone qu'il a été visité par un légionnaire, en habit de parade, qui m'a beaucoup impressionné. En effet, en l'observant j'avais vu le couteau qu'il rotait au côté, peut-être avec tant d'ostentation qu'il a voulu me montrer à quoi il pouvait servir, sortant son couteau, il m'a pris par les cheveux et a simulé la manière de scalper. J'ai eu la trouille de ma vie, mais qu'il était beau dans son uniforme !

Francis fut aussi un organisateur de kermesses dans la paroisse. Il y avait du côté de Minières de grandes cavités dans le tuffeau, lieux idéaux pour mettre des stands, faire des spectacles. C'est près de ces endroits que j'ai visité avec mon oncle, les premières installations de ce qui allait devenir le Bioparc de Doué-la-Fontaine (https://www.bioparc-zoo.fr). C'est aussi de cet endroit, pour la préparation de la fête, que mon oncle a suivi l'évolution et la fin de la guerre d'Algérie. Il était très soucieux, car il connaissait beaucoup de personnes restées encore en Algérie.

En 1960, mon grand-père décédé, seule ma grand-mère a continué avec lui.

Il continuait à visiter les camps de nomades et nombreux étaient ceux qui passaient le voir. Ce n'était plus la 4 CV, mais une Dauphine Renault qui occupait le garage et qui lui permettait de se déplacer ailleurs que dans le village, sinon marche ou vélo.

Puis il fut nommé à Durtal comme vicaire chargé des Rairies et de Montigné-les-Rairies. Grand-mère a continué avec lui malgré ses 77 ans.
Grand-mère et ses cinq enfants devant le presbytère des Rairies 1966

Prêtre Fidei Donum

Il se sent mal fait pour le ministère ordinaire, il est un peu fatigué des nantis de ces paroisses, du manque de foi et d'enthousiasme, il veut autre chose, une autre implication. En 1966, il part comme prêtre Fidei Donum (Fidei donum est une encyclique publiée le 21 avril 1957, par le pape Pie XII et dans laquelle il demande aux évêques d'autoriser leurs prêtres diocésains à répondre aux appels de la mission) en Guyane à Saint-Laurent-du-Maroni. Il y resta deux ans et demi.
Saint-Laurent-du-Maroni 1966

Le bagne est fermé, mais de nombreux bagnards n'ont jamais voulu revenir en France.  Il a aussi quelques difficultés avec l'évêque, en s'accommodant mal des mesures draconiennes par exemple sur la tenue vestimentaire. Alors il revient en France.
Un petite pause comme aumônier de l'hôpital psychiatrique de Sainte-Gemmes-sur-Loire, puis aide de l'aumônier de l'hôpital de Saumur. Il repart au mois de novembre 1969 en Haïti à Port-aux-Prince. Pendant les 3 ans et demi où resta là-bas, il a pu voir les difficultés, la violence, la torture, la corruption, l'utilisation du culte vaudou à des fins politiques et les difficultés face aux tontons macoutes de Papa-Doc. Une des choses les plus dures à accepter pour lui a été de prêter serment de fidélité à Duvalier pour pouvoir rester à la rencontre de la population et lui apporter du réconfort.
Francis à Djibouti en 1975 la soutane n'est plus de rigueur


Au retour, un passage éclair à Saint-Georges-sur-Loire et Champtocé pour s'occuper du troisième âge, il est déjà reparti à Djibouti pour deux ans, afin d'exercer son ministère catholique auprès des Européens et apporter une aide sociale auprès des autochtones musulmans.

Retour au bercail

Le 10 juillet 1977, retour au pays, il est nommé curé de Vergonnes et Armaillé, au nord-est du département. Cependant, il est toujours prêt à faire ses bagages, il a besoin d'exotisme, il se sent à l'étroit dans ces villages, c'est en fait presque trop facile. Comme cela a été rapporté dans un article du Courrier de l'Ouest, il avait dit à ses paroissiens d'Armaillé lors de son prône inaugural : "N'ayez pas peur de me dire en confession tout ce que vous avez sur la conscience. C'est de toute façon moins grave tout ce que j'ai pu voir et entendre jusqu'ici…". Le journaliste le définit comme aussi rond physiquement qu'il est carré dans ses idées et ses amitiés.
Ses états de services seront reconnus lorsqu'en 1978, il recevra la Médaille militaire au titre de ses années en Algérie et Indochine qui vient s'ajouter à sa Croix du Combattant et du Mérite social et il sera fait chevalier dans l'Ordre National du Mérite.
Francis lors de la remise de ses médailles à Vergonnes - 13 août 1978

En 1982 des ennuis de santé le rattrapent, au lieu de partir au loin comme il le désirait, il va d'abord être en congé pour raison de santé puis intégrer le Centre de Réadaptation Fonctionnelle des Capucins à Angers. Il y restera 11 ans, dans la souffrance et une quasi-impossibilité de communiquer lors des trois dernières années. Il va décéder le 19 mai 1993 au Centre de Réadaptation. Sa sépulture aura lieu au May-sur-Èvre, le 22 mai en présence de l'évêque d'Angers, lors d'une cérémonie animée par son cousin Jean BOISDRON*, curé de Vernantes.

* Il n'y a pas d'erreur dans l'écriture de Jean BOISDRON, cousin de Francis BOIDRON, cela fait partie des curiosités rencontrées par bien des généalogistes. J'y reviendrai peut-être.
  
Les photos sont des documents familiaux.
Merci à Geoffrey Label, Archiviste diocésain, qui m'a permis de retracer tout le parcours de Francis BOIDRON, si j'en avais une idée dans les grandes lignes, il m'a permis d'en replacer les dates.
Je me répète, mais à lire : Jacques SIGOT "Un camp pour les tsiganes… et les autres. Montreuil-Bellay 1940-1945" - Éditions Wallada - 1983


25 février 2021

La grande commandeuse

Je me souviens, quand j'avais 5 ou 6 ans, je recevais des images pieuses d'une religieuse exilée au Chili. Cette tante Adèle, comme l'appelait maman, voulait que je devienne prêtre, enfin, les petits mots qu’elle m’écrivait au dos ces images semblaient le suggérer. Il faut dire qu'il n'y avait pas beaucoup de garçons dans la lignée, je devais être le second, et cette tante religieuse était sans doute plus près de maman, sa nièce, que de mon oncle. Ce que j'ai retenu, c'est qu'elle était décédée là-bas et que c'était un sacré caractère et puis c'est tout.
Maman l'a quand même peu connue, juste vue une fois alors qu'elle avait 6 ans, mais régulièrement des lettres parvenaient. Le seul dommage c'est qu'elles n'ont pas traversé le temps et ont disparu.

Or, lors du décès de maman, j'ai retrouvé dans ses papiers une note, incomplète, qui éclaire beaucoup le personnage. Je vais m'en servir pour raconter l'histoire de la tante Adèle, sans en changer le texte pour le laisser dans l'esprit de l'époque. Je ne sais pas qui a écrit cette histoire, je suppose que c'est ma grand-mère d'après ses souvenirs, mais je n'en suis pas certain. Elle était beaucoup plus jeune, ce qui peut expliquer qu'elle évoque une autre sœur plus âgée, sans doute plus au parfum des affaires familiales.
Copie d'une page des notes sur Adèle Marie BRELLE

Grâce au service des Archives des Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul, j'ai pu reconstituer tout le parcours de celle qui, je le sais maintenant, en religion était sœur Augustine. Ce nom est une révélation pour moi car il reprend le prénom de ma grand-mère la petite sœur de celle que j'ai toujours entendu appeler tante Adèle du Chili.

Née à La Renaudière, quatrième enfant d'une tribu qui va en compter onze. Elle voit le jour le 30 avril 1875 après une fille et deux garçons. Ma grand-mère Titine que j'ai déjà évoquée naîtra dix ans plus tard.

« Née à la Renaudière, Vendée Angevine, elle était la quatrième enfant de la famille, sept autres devaient la suivre. Combien de fois, dit une de ses sœurs, ai-je entendu notre chère maman s'interroger sur l'avenir d'Adèle ? Je me demande ce que deviendra cet enfant. Si elle tourne bien, elle ira vers la perfection, mais si elle tourne mal, de quoi sera-t-elle capable ? Son caractère terriblement orgueilleux dévaloriserait les richesses de sa nature ardente. Il faudra que son âme se livre à Dieu pour s'épanouir. »

Dans cette région des Mauges, la religion est encore à cette époque là fort prégnante et importante dans la vie des familles. On s'en rend vite compte quand on voit dans cette famille de 10 enfants vivants, trois religieuses et un prêtre. Toute la famille est visible sur la photographie ci-dessous où déjà deux sœurs sont religieuses et un frère prêtre. 

La famille BRELLE. Adèle est la fière jeune fille, à gauche.

« Nous l'avions surnommée la grande commandeuse et Madame Jordonne, car nous devions tous lui obéir et en passer par où elle voulait. La moindre observation la heurtait, la plus légère punition lui était insupportable. Vers quinze ans, elle convoqua des amies de son âge pour danser dans la cour de la maison pendant que nos pieuses mamans étaient à une réunion de Mères chrétiennes. Notre maman la tança sévèrement, il s'en suivit un bel éclat. »
Ces propos ont fortement marqué maman puisqu'elle y revenait sans cesse lorsqu'elle évoquait cette tante. Elle racontait que celle-ci était toujours prête à faire la fête en toute circonstance.

« Par ailleurs, elle ne craignait ni la peine, ni la fatigue, ni l'effort. Rendre un service était un besoin pour elle. Une villageoise tombée dans un puits, elle se précipite pour l'en retirer. Lorsqu'il y avait dans les environs un malade isolé à soigner, un mort à veiller, Adèle se proposait toujours. Lors d’une retraite faite à Saint-Laurent-sur-Sèvre, chez les Sœurs de la Sagesse, elle fut sollicitée pour entrer dans cet ordre, mais s'étant confié à son frère Lucien, alors vicaire à Saint-Laud d'Angers, celui-ci lui facilita le contact avec plusieurs Communautés, et finalement, la conduisit à l'hôpital où elle sentit aussitôt que ces sœurs deviendraient les siennes. Le 28 mai 1898, elle commençait son Séminaire à Paris. »

Elle postule à l'asile d'Arcueil le 23 mai 1898, elle entre dans la Compagnie des Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul, le 25 mai 1898. Sa prise d'habit s'effectue à Arcueil le 11 mars 1899

« À la sortie du Séminaire, elle est placée à Château-Gontier, puis à la Miséricorde de Laon d'où les sœurs sont expulsées en 1903. Elle fit ses vœux cette année-là, puis elle s'embarqua pour la terre étrangère au Chili, qui bénéficiera de son dévouement pendant cinquante ans. »

Elle se retrouve donc à la maison de charité de Château-Gontier, puis en 1901 à la Miséricorde de Laon, où elle fait ses vœux le 31 mai 1903, elle est expulsée cette année-là suite aux lois de laïcisation.
Adèle en religieuse : sœur Augustine
Au Chili elle est affectée d'abord à l'asile du Salvador à Valparaiso, puis en 1912 à l'hospice de Viña Del Mar, à l'hôpital Saint-Vincent de Santiago en 1920.

« Nous devions la revoir qu'une seule fois en 1929, lors d'un voyage en France, après ses 25 premières années du Chili. Trois jours lui furent accordés pour nous revoir. C'était peu, mais elle refusa de demander davantage dans la crainte de se rattacher à son pays et de n'avoir plus le courage de le quitter. En montant dans la voiture, elle dit avec un accent qui nous livrait la lutte contre sa nature affectueuse Mon Dieu, si ce n'était pas pour vous !” ».

C'est à cette occasion que maman, qui avait 6 ans, fit sa connaissance et bien sûr ce fut la seule fois qu'elle la vit. Lorsqu'elle repart, elle va à l'hôpital du Salvador à Santiago.
Sœur Augustine au Chili
« Oh ! oui, c'est bien pour Lui seul que ma Sœur BRELLE quitte une seconde fois son pays natal, sa patrie. Sa Chère Maman peut se réjouir, sa terrible fille a bien tourné.

Au Chili, placée tout d'abord dans divers hôpitaux comme Compagne ; elle reçoit en 1931, après son voyage en France, la conduite de celui de CHILLÁN. La manière dont elle le quitte quatre ans plus tard laisse le souvenir de sa force morale et de son surnaturel détachement. Monseigneur RUCKER, évêque de CHILLÁN, agonise à l'hôpital quand ma Sœur BRELLE reçoit un télégramme la priant de se rendre à la gare, au passage du train venant de CONCEPCIÓN, dans lequel se trouve une Sœur BOITEL, Visitatrice de la Province. Celle-ci lui demande le sacrifice de cet hôpital où elle est tant aimée, pour prendre la direction de la Maison BAQUEDANO à SANTIAGO, œuvre difficile où sont internés malgré eux, huit cents enfants abandonnés. Sans une protestation, ma Sœur BRELLE acquiesce, rentre à l'hôpital pour recueillir le dernier soupir de Monseigneur, reçoit toute la journée le clergé et les membres des Communautés religieuses, reste dans La Chapelle mortuaire jusqu'à l'heure du transfert à la cathédrale. Le surlendemain seulement, après avoir fait discrètement ses préparatifs, elle annonce son départ qu'aucune de ses compagnes ne soupçonne tant elle a su dominer son émotion. »

Après avoir été la supérieure de la maison de l'hôpital de CHILLÁN, elle devient en 1935 supérieure de la maison de l'asile BAQUEDANO.

« En lui confiant BAQUEDANO les Supérieures lui demandaient d'opérer un sauvetage. Comme au temps de son enfance elle se lance courageusement au fond du puits, par pitié pour ses orphelins. La plupart sont amenés comme vagabonds. BAQUEDANO est pour eux la prison dont ils cherchent à s'évader. Loin de s'effrayer de la situation, la nouvelle Supérieure se donne la peine d'en connaître les dessous. Elle déploie une activité incroyable, trouve le temps de parcourir chaque jour tous les services, y rétablit l'ordre matériel, s'ingénie à rendre agréable aux enfants le cadre où ils doivent vivre, et surtout s'intéresse personnellement à chacun, cherche les occasions de les gâter, distribue des friandises et par là, ouvre leurs cœurs fermés par la misère. Le personnel traité avec la même bonté retrouve un meilleur esprit. »

Cette description correspond sans doute aux informations parvenues du Chili après le décès de la tante Adèle. J'en ai entendu parler, mais je n'ai pas retrouvé d'archive ou de document.

« La fête de Noël, célébrée en plein été au Chili, réunit toutes les maisons dans la grande cour où est dressé un autel. Les anciens viennent avec leur famille, se disputent l'honneur de servir la messe. La chorale se surpasse et lorsqu'arrive le moment de la Communion, l'invitation du Maître “Laissez venir à moi les petits enfants” prend une signification particulière ; tous ces repris de justice semblent devenus de petits angelots. Puis quelques moments de recueillement, puis dans tous les immenses réfectoires, ma Sœur BRELLE circule entre tous ces visages souriants de reconnaissance. »

« À l'égard de ses compagnes, elle est la gardienne vigilante. Sa délicatesse facilite l'accomplissement du devoir, ainsi presque tout l'entretien de la Communauté lui revient pour que chacune donne à ses enfants le maximum de temps. On travaillait à BAQUEDANO, mais comme il faisait bon de se réunir, chacune oubliait ses fatigues, car ma Sœur BRELLE était l'une des récréations. Sous un… »

La note se termine ainsi, je n'ai pas trouvé les feuillets manquants. Maman connaissait la vie de la tante Adèle par cœur. Je pense aussi que ma grand-mère aimait à l'évoquer. Cette note sur pages de cahier est intitulée « Remarques sur votre tante décédée au collège San Fidel de SANTIAGO (Chili) le 13 juillet 1953, âgée de 78 ans, après 55 ans de sacerdoce ».

Sœur Augustine sur son lit de mort
Grâce aux archives des Filles de la Charité, j'ai pu avoir la suite du parcours de sœur Augustine. Après BAQUEDANO, elle devient supérieure de la maison Sainte Agonie à Santiago. Cette maison deviendra le Collège San Fidel et c'est donc là qu'elle décèdera le 13 juillet 1953.

Remerciements : Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul
Document et photographies C. Boisseau


13 février 2021

Grand-mère Titine

Origines

Le 26 septembre 1885 à 6 heures du matin naissent au domicile de Lucien BREL, forgeron à la Renaudière, et de Adèle Louise TOUILLET, ménagère (autrement dit qui tient le ménage, donc une femme qui reste à la maison), des jumelles qui sont les numéros 10 et 11 de la fratrie. 

Tout d’abord, Philomène Zoé, bien en chair et avide, puis Augustine Marie, plus chétive et moins portée sur le lait que propose leur mère. Ironie du sort, Philomène Zoé ne survivra qu’un peu plus de 6 mois, alors que sa jumelle, que tout le monde avait peur de voir mourir en très bas âge, décèdera peu avant ses 101 ans.


Son acte de naissance est un plaisir pour les généalogistes, en effet, les âges et professions des parents sont indiqués ainsi que l'heure de naissance, et en marge ont été ajoutés son mariage (le 18 octobre 1910 avec François Auguste BOIDRON, acte qui n’est pas encore numérisé) et son décès à Jallais le 2 août 1986.


Acte de naissance de BRELLE Augustine Marie

Tout d’abord, une anomalie qui va subsister pour toute la descendance de Lucien BREL et d’Adèle TOUILLET, les enfants porteront le nom de BRELLE (le père signe d’ailleurs comme cela) et non BREL nom d’enregistrement à la naissance de Lucien. Il y aurait d’ailleurs à dire sur l’évolution de ce nom.

Lorsque les jumelles arrivent, la famille est déjà composée de :

    • Marie-Thérèse (05/10/1870). Elle fera profession de religieuse à la Salle-de-Vihiers, à environ 40 km de la Renaudière ;
    • Lucien Émile (21/02/1872). Lui aussi n’aura pas de descendance. Il deviendra prêtre et finira comme curé-doyen de Montrevault ;
    • Paul Auguste (11/07/1873) qui sera forgeron comme son père et ses oncles ;
    • Adèle Marie (30/04/1875). Elle sera, comme sa sœur aînée religieuse, mais de toute autre manière, elle terminera sa vie comme supérieure d’un orphelinat à Santagio-du-Chili ;
    • Armande Zoé (25/10/1876). Elle aussi religieuse à La Salle-de-Vihiers ;
    • Pauline Marie (10/03/1878). Elle se mariera le même jour qu’Augustine avec René BRIN ;
    • Bernadette Lucie (20/12/1879). Mariée à Alphonse ROUILLIER, puis à Jacques BRÉBION ;
    • Cyprienne Marie Élisabeth (18/12/1882). Je n’ai pas d’informations la concernant ;
    • Anatole Maximin (08/04/1884). Marié à Marie-Madeleine MÉTAYER, mobilisé pendant la guerre 1914-1918, il décède le 3 août 1917 des suites des blessures reçues par heurt d’automobile !

Famille Brelle (vers 1894)

Lucien BRELLE, curé doyen de Montrevault


Trois religieuses BRELLE : Adèle (nièce des deux autres), Armande et Marie (1938)

La famille au May-sur-Èvre

Augustine et François BOIDRON viendront habiter Le May-sur-Èvre, dans la rue Louis Fizeau, où il exercera la profession de cordonnier. De cette union naîtront 5 enfants :

    • Lucien François Georges Marie (20/09/1911) qui sera aussi cordonnier. ;
    • Francis René Paul Marie (05/09/1914). Contrairement aux autres enfants, il est né à La Renaudière. Son mari parti à la guerre, Augustine est partie accoucher chez sa mère. Francis sera prêtre. Son parcours nécessite un petit texte pour lui tout seul ;
    • Marie Renée Maximilienne Augustine (15/11/1817) ;
    • Georgette Lucienne Marie Thérèse (23/06/1923), ma maman ;
    • Paulette Mélanie Cyprienne Marie.
Famille Boidron devant la cordonnerie de François et Augustine
Le May-sur-Èvre (02/07/1939)

Comme vous l’avez compris, Augustine est ma grand-mère maternelle : grand-mère Titine (ça ne vous rappelle pas un autre BREL ? Jacques pour ne pas le citer…), nous l’appelions ainsi entre nous, sinon officiellement c’était  grand-mère BOIDRON, bien sûr !
Les grands-parents François et Augustine BOIDRON-BRELLE
(vers 1940)

La bonne du curé

Je l’ai bien connue vers fin des années 50. À cette époque, tonton Francis était curé de Mollay-Saint-Just-sur-Dive, ma grand-mère et mon grand-père vivaient avec lui. Grand-mère était la bonne du curé en quelque sorte. Quant à mon grand-père, après une première attaque cérébrale, comme on disait à l’époque, à l’âge de 45 ans, il en avait eu une autre, avant ses 60 ans, si je ne me trompe pas, qui l’a laissé hémiplégique et rendu de ce fait quasiaphasique. Il ne parlait que par borborygmes que nous arrivions quelquefois à comprendre. Vers l’âge de 8 à 10 ans je passais une partie de mes vacances avec eux et je me souviens bien de Titine qui s’occupait de son mari, de la cuisine, de recevoir les personnes qui venaient voir mon oncle. Quand j’étais là, il m’est arrivé de promener mon grand-père, lui dans son chariot à bras (de ce type à http://www.patrimoinehospitalierdunord.fr/mobilierhospitalier-fauteuil-roulant-charrette-a-bras.html) qu’il pouvait actionner avec sa seule main à peu près valide. Moi, parfois je le poussais, nous allions comme cela jusqu’à Saint-Just-sur-Dive, un sac ou un seau accroché au dos du chariot, dans lequel je mettais au fur et à mesure de notre périple le crottin de cheval récolté sur la route. Je me souviens surtout des 14 juillet, mon grand-père presque accroché au poste de radio qui diffusait le défilé et qui chantait (?) les chants martiaux.
François et Augustine entourant leur fils Francis curé de Saint-Just-sur-Dive (vers 1956)

Ainsi donc, chaque été je retrouvais mes grands-parents et mon oncle pour passer quelque temps avec eux. Ce qui nous faisait rire quand nous étions petits, mes sœurs et moi, c’était de voir la bouche de grand-mère Titine : elle n'avait plus de dents, nous nous demandions toujours comment elle pouvait mâcher correctement.

Après Mollay, ce fut Soulanger. Mon oncle recevait des légumes de la part de paroissiens, et en été, c'était très souvent des artichauts. Cuisinés de toutes les manières possibles, midi et soir, par grand-mère, je suis arrivé à les détester. Aujourd'hui, je ne les supporte que pour les manger crus.


Mon grand-père est venu à la fin de sa vie chez mes parents, maison qui n'était que la sienne avec son atelier, mes parents l'avaient rachetée (c'est d'ailleurs là où je suis né). Il y est décédé en avril 1960, moi je n’étais pas là, en internat à Angers. C'était l'époque où les voisins, amis et diverses connaissances venaient se recueillir, voire passer la nuit devant le corps du défunt. Je revois encore dans la salle de ma maison, ce corps étendu sur un lit avec tout autour grand nombre de personnes priant ou parlant à voix basse. À ce moment apparaît une personne habillée de noir, pour moi treize ans alors, semblant d'un certain âge, avec sur la tête un chapeau mis complètement de travers. Ma tante sincèrement éplorée devant le corps de son père gisant, qui se trouvait face à la porte d'entrée et étant la première à voir l'entrante, a été prise d'un fou rire extrêmement sonore comme elle savait le faire. Inutile de dire que la confusion a été extrême et beaucoup ont eu du mal à s'empêcher de rire devant l'apparition, malgré les circonstances.


Grand-mère 1964

La centenaire

Ma grand-mère Titine est donc retournée seule avec mon oncle. En 1962, ils ont quitté Soulanger pour aller aux Rairies. 

Augustine entourée de ses enfants. Cure des Rairies 1966


Puis en 1966 changement d'orientation et de ministère pour mon oncle qui part en Guyane. Grand-mère ne pouvait pas le suivre et même pour elle cela devenait difficile (elle a plus de 80 ans), elle commençait à avoir du mal à se déplacer. Elle vécut par la suite chez l'un ou l'autre de ses enfants avant d’intégrer la maison de retraite de Jallais en 1977.

Augustine à la maison de retraite de Jallais

Nous avons ainsi pu fêter ses 100 ans. Tous ses enfants étaient présents et une bonne partie des petits enfants et arrières petits enfants.

Augustine entourée de ses enfants et leurs conjoints
pour ses 100 ans


Elle y est décédée le 8 août 1886, à peine deux mois avant son 101e anniversaire.