10 mars 2021

Le curé baroudeur

Ce titre n'est pas de moi. Je l'ai trouvé sur un article de la Semaine Religieuse du Diocèse d'Angers du 11 juin 1978, repris par un article du journal le Courrier de l'Ouest du 3 août 1978, suite à la remise de la Médaille militaire à celui qui pour moi a toujours été "tonton l'abbé".

Les origines

Je vais vous parler de mon oncle maternel Francis, prêtre quelquefois surprenant, en tout cas qui sort de l'ordinaire et du schéma classique qu'on se fait d'un prêtre.
Il naît Francis René Paul Marie BOIDRON, à La Renaudière (Maine-et-Loire), le 5 septembre 1914 à 18 heures. Ses parents habitent le May-sur-Èvre, mais son père étant mobilisé, sa mère est partie accoucher chez ses parents. Comme il dit lui-même "Je suis né le jour où les premières bombes tombent sur la Marne, le jour de la mort de Péguy aussi." J'ai déjà évoqué sa famille dans l'article sur ma grand-mère Titine. Son père est cordonnier établi à son compte, rue Louis Fizeau. Sa mère reste au foyer, il est le second garçon d'une fratrie de 5 enfants, ils seront suivis de 3 filles.
Le jeune Francis


Je n'ai pas d'informations concernant sa jeunesse sauf que dès 6 ans il veut devenir prêtre. Après le petit séminaire à Beaupréau, il entre au Grand Séminaire d'Angers. Il est tonsuré le 23 décembre 1933. Puis c'est le service militaire en 1934 sous le matricule 2270. À son retour, il devient sous-diacre, puis diacre.
Francis, diacre 1938

Le vicaire et le camp de concentration des nomades de Montreuil-Bellay

Il est ordonné prêtre en la cathédrale d'Angers le 29 juin 1939. Il viendra dire sa première messe à l'église du May-sur-Èvre le 2 juillet 1939. C'est l'occasion pour la famille de fêter cet évènement.
Famille rassemblée devant la cordonnerie des parents pour la première messe de Francis

Il est alors nommé vicaire à La Pommeraye. Il y restera jusqu'en 1942. Le 23 avril il est nommé vicaire à Montreuil-Bellay avec comme mission d'être aumônier du camp de concentration des nomades, d'abord comme aide puis à part entière à compter du mois de décembre. Je ne saurai trop vous recommander sur ce sujet la lecture du livre de Jacques SIGOT "Un camp pour les tsiganes… et les autres. Montreuil-Bellay 1940-1945" - Éditions Wallada - 1983. Francis y est évoqué et déjà il a quelques soucis avec les autorités qu'elles soient civiles ou religieuses. Au milieu des 1500 prisonniers, mourants de faim, dévorés par les poux, il va être confronté à la tristesse, à l'odeur insupportable de la misère, aux agonisants qu'il faut assister les uns après les autres, se confiera-t-il plus tard.   
La Pommeraye 1941

Les colonies

En 1945 changement d'orientation désiré, après un rappel comme spécialiste de l'intendance à Tours, il va entamer des démarches difficiles auprès de sa hiérarchie, qui ne lui répond même pas, il se fait pistonner et au mois d'août devient aumônier militaire en Algérie. Il y reste 6 mois. En 1946 c'est le départ pour l'Indochine comme Aumônier Capitaine de la Légion Étrangère. Ces deux missions l'ont profondément marqué et il revenait souvent sur ses amis qu'il s'était faits là-bas. Il se sent indispensable pour accompagner les mourants. Il n'a jamais eu le sentiment de cautionner ceux qui tuent. Il lui faut assister les autres, être avec eux et les aider.


Aumônier Capitaine de la Légion Étrangère (1946)

Aumônier Capitaine de la Légion Étrangère (1947)

Le curé de campagne, mais pas que…

Après deux ans passés en Indochine, il est nommé vicaire à Ingrandes-sur-Loire le 19 septembre 1948, puis un an après, le 28 août 1949 curé de Saint-Just-sur-Dive. Ses parents viendront habiter avec lui la grande cure et sa mère fera office de bonne du curé. J'y suis allé assez souvent et j'aimais bien parcourir le village avec lui, aller de maison en maison, quelles que soient les croyances des habitants. Il était accueilli partout à bras ouverts, et s'il y avait quelques désaccords tout se réglait très vite autour d'un verre de blanc.
Ce fut aussi l'occasion pour moi de sonner l'angélus avec cette impression exaltante de monter très haut entraîné par la corde. Moins passionnante était la récolte des pommes de terre, mon oncle avait l'habitude d'en planter tout un champ derrière l'église. Lui en short et chemise avec le croc, moi derrière à les ramasser pour les mettre en caisse. Les après-midis du mois d'août sous la chaleur, pas trop mon truc.
Francis vers 1955


En 1952, en plus de sa charge d'administrateur de la paroisse de Saint-Just il devient aumônier diocésain des nomades. Si on lui propose cette charge, c'est sans doute parce qu'il avait l'expérience de cette population suite à la période de la guerre comme aumônier du camp de concentration. À cette époque il avait acheté une 4 CV Renault. J'ai ainsi pu parcourir avec lui toute la campagne saumuroise, faire la queue derrière les convois américains qui squattait le camp de Méron tout à côté. J'ai aussi maintes occasions de visiter des camps de nomades où nous étions toujours très bien accueillis (sauf par les chiens quelquefois) et dans ces camps, regroupant des personnes pas très bien vues des populations locales, je me suis toujours senti en sécurité.
Francis entouré de ses parents - Saint-Juste-sur-Dive

Après 8 ans passés à Saint-Just-sur-Dive, il va intégrer la cure de Soulanger, tout à côté de Doué-la-Fontaine, avec toujours la charge des nomades. Ce dont je me souviens, c'est une grande cour avec garage, cave qui descendait dans le tuffeau et derrière le presbytère un grand jardin, avec de petits bassins bordés de bouquets de thym qui sentaient bon quand on passait à côté en les frôlant. Puis deux tortues que l'on pouvait voir facilement aux beaux jours. Et il y eut le téléphone, un téléphone mural avec un petit levier qu'il fallait actionner pour appeler l'opératrice et avoir la communication. Ce fut un changement et un intérêt appréciable pour M. le Curé. C'est à la suite d'un coup de téléphone qu'il a été visité par un légionnaire, en habit de parade, qui m'a beaucoup impressionné. En effet, en l'observant j'avais vu le couteau qu'il rotait au côté, peut-être avec tant d'ostentation qu'il a voulu me montrer à quoi il pouvait servir, sortant son couteau, il m'a pris par les cheveux et a simulé la manière de scalper. J'ai eu la trouille de ma vie, mais qu'il était beau dans son uniforme !

Francis fut aussi un organisateur de kermesses dans la paroisse. Il y avait du côté de Minières de grandes cavités dans le tuffeau, lieux idéaux pour mettre des stands, faire des spectacles. C'est près de ces endroits que j'ai visité avec mon oncle, les premières installations de ce qui allait devenir le Bioparc de Doué-la-Fontaine (https://www.bioparc-zoo.fr). C'est aussi de cet endroit, pour la préparation de la fête, que mon oncle a suivi l'évolution et la fin de la guerre d'Algérie. Il était très soucieux, car il connaissait beaucoup de personnes restées encore en Algérie.

En 1960, mon grand-père décédé, seule ma grand-mère a continué avec lui.

Il continuait à visiter les camps de nomades et nombreux étaient ceux qui passaient le voir. Ce n'était plus la 4 CV, mais une Dauphine Renault qui occupait le garage et qui lui permettait de se déplacer ailleurs que dans le village, sinon marche ou vélo.

Puis il fut nommé à Durtal comme vicaire chargé des Rairies et de Montigné-les-Rairies. Grand-mère a continué avec lui malgré ses 77 ans.
Grand-mère et ses cinq enfants devant le presbytère des Rairies 1966

Prêtre Fidei Donum

Il se sent mal fait pour le ministère ordinaire, il est un peu fatigué des nantis de ces paroisses, du manque de foi et d'enthousiasme, il veut autre chose, une autre implication. En 1966, il part comme prêtre Fidei Donum (Fidei donum est une encyclique publiée le 21 avril 1957, par le pape Pie XII et dans laquelle il demande aux évêques d'autoriser leurs prêtres diocésains à répondre aux appels de la mission) en Guyane à Saint-Laurent-du-Maroni. Il y resta deux ans et demi.
Saint-Laurent-du-Maroni 1966

Le bagne est fermé, mais de nombreux bagnards n'ont jamais voulu revenir en France.  Il a aussi quelques difficultés avec l'évêque, en s'accommodant mal des mesures draconiennes par exemple sur la tenue vestimentaire. Alors il revient en France.
Un petite pause comme aumônier de l'hôpital psychiatrique de Sainte-Gemmes-sur-Loire, puis aide de l'aumônier de l'hôpital de Saumur. Il repart au mois de novembre 1969 en Haïti à Port-aux-Prince. Pendant les 3 ans et demi où resta là-bas, il a pu voir les difficultés, la violence, la torture, la corruption, l'utilisation du culte vaudou à des fins politiques et les difficultés face aux tontons macoutes de Papa-Doc. Une des choses les plus dures à accepter pour lui a été de prêter serment de fidélité à Duvalier pour pouvoir rester à la rencontre de la population et lui apporter du réconfort.
Francis à Djibouti en 1975 la soutane n'est plus de rigueur


Au retour, un passage éclair à Saint-Georges-sur-Loire et Champtocé pour s'occuper du troisième âge, il est déjà reparti à Djibouti pour deux ans, afin d'exercer son ministère catholique auprès des Européens et apporter une aide sociale auprès des autochtones musulmans.

Retour au bercail

Le 10 juillet 1977, retour au pays, il est nommé curé de Vergonnes et Armaillé, au nord-est du département. Cependant, il est toujours prêt à faire ses bagages, il a besoin d'exotisme, il se sent à l'étroit dans ces villages, c'est en fait presque trop facile. Comme cela a été rapporté dans un article du Courrier de l'Ouest, il avait dit à ses paroissiens d'Armaillé lors de son prône inaugural : "N'ayez pas peur de me dire en confession tout ce que vous avez sur la conscience. C'est de toute façon moins grave tout ce que j'ai pu voir et entendre jusqu'ici…". Le journaliste le définit comme aussi rond physiquement qu'il est carré dans ses idées et ses amitiés.
Ses états de services seront reconnus lorsqu'en 1978, il recevra la Médaille militaire au titre de ses années en Algérie et Indochine qui vient s'ajouter à sa Croix du Combattant et du Mérite social et il sera fait chevalier dans l'Ordre National du Mérite.
Francis lors de la remise de ses médailles à Vergonnes - 13 août 1978

En 1982 des ennuis de santé le rattrapent, au lieu de partir au loin comme il le désirait, il va d'abord être en congé pour raison de santé puis intégrer le Centre de Réadaptation Fonctionnelle des Capucins à Angers. Il y restera 11 ans, dans la souffrance et une quasi-impossibilité de communiquer lors des trois dernières années. Il va décéder le 19 mai 1993 au Centre de Réadaptation. Sa sépulture aura lieu au May-sur-Èvre, le 22 mai en présence de l'évêque d'Angers, lors d'une cérémonie animée par son cousin Jean BOISDRON*, curé de Vernantes.

* Il n'y a pas d'erreur dans l'écriture de Jean BOISDRON, cousin de Francis BOIDRON, cela fait partie des curiosités rencontrées par bien des généalogistes. J'y reviendrai peut-être.
  
Les photos sont des documents familiaux.
Merci à Geoffrey Label, Archiviste diocésain, qui m'a permis de retracer tout le parcours de Francis BOIDRON, si j'en avais une idée dans les grandes lignes, il m'a permis d'en replacer les dates.
Je me répète, mais à lire : Jacques SIGOT "Un camp pour les tsiganes… et les autres. Montreuil-Bellay 1940-1945" - Éditions Wallada - 1983